EFFICACITÉ ALIMENTAIRE GARE AUX DÉRAPAGES
Produire plus de lait avec une quantité fixe de matière sèche compense, en partie, l'augmentation du prix des matières premières. Mais cela doit être raisonné en cohérence avec le métabolisme animal et l'efficacité économique globale de l'exploitation.
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PROMISE PAR UNE LARGE GAMME DE FOURNITURES, l'amélioration de l'efficacité alimentaire s'affiche comme un élément déterminant de la rentabilité du troupeau dans un contexte de resserrement des marges. Qu'en est-il exactement ? Quelle est la pertinence de cette approche dans la cohérence globale du système d'élevage ? Concrètement, elle mesure la quantité de lait produit permise par les kilos de matière sèche ingérée, selon le ratio : efficacité alimentaire = quantité de lait produit/ kg de MS ingérée.
Une étude conduite par CCPA, firme service en santé et nutrition animale, auprès de 153 élevages répartis sur l'ensemble du territoire (soit un total de 10 690 vaches à 95 % prim'holsteins). Elle révèle un niveau d'efficacité alimentaire moyen de 1,35 l de lait produit par kilo de MS. La disparité des performances est cependant significative. Elle varie entre 0,8 et 1,8 et met en exergue les marges de progrès qui existent dans les élevages. « Les éleveurs du quart supérieur ont une efficacité alimentaire moyenne de 1,53. C'est un objectif que l'on peut raisonnablement se fixer », constate Florent Boivin, responsable des ruminants à CCPA.
UN LEVIER D'AMÉLIORATION DE LA RENTABILITÉ
Pour un éleveur produisant 350 000 l de lait, le gain de presque deux points, constaté entre la moyenne et le quart supérieur, permet d'économiser 30 t de matière sèche qu'il faut multiplier par le coût alimentaire global/T pour apprécier l'impact économique de l'efficacité de la transformation des aliments en litre de lait.
« Ce critère reflète la technicité de l'éleveur par sa capacité à transformer des matières premières en lait, analyse Olivier Perret, consultant en gestion d'entreprises chez Cogédis. Son amélioration est un levier d'action pour aller chercher la rentabilité dans chaque litre de lait produit. Par les gains d'efficacité alimentaire, je maîtrise le nombre d'UGB sur l'exploitation et ainsi j'agis sur l'ensemble des postes de charges : moins de coûts de bâtiments, de surface fourragère, d'achat d'aliments, de besoin en mécanisation, une meilleure capacité à répondre aux contraintes environnementales actuelles ou à venir (N/ha, émission de gaz à effet de serre) et davantage de surfaces qui peuvent être consacrées aux cultures de vente. »
DES OBJECTIFS VARIABLES SELON LE STADE PHYSIOLOGIQUE…
Les objectifs que l'on peut se fixer sont liés au niveau de production et au mois moyen de lactation. « Un troupeau à 9 000 kg de lait doit être plus performant qu'un troupeau à 7 000 kg, car l'accroissement de la productivité permet de diluer les besoins d'entretien, explique Jean-Luc Ledonge, nutritionniste indépendant dans le Finistère pour la société Nutri- CAP(1). De même, au cours des trois premiers mois suivant la mise bas, la valorisation de la ration est maximum, alors qu'en seconde partie de lactation, lamatière sèche ingérée est en partie mobilisée pour les besoins de gestation et la reconstitution des réserves corporelles. » Des notes d'efficacité trop élevées doivent alors alerter sur le risque d'amaigrissement des animaux au profit de la production laitière. Le contrôle laitier de l'Orne a diffusé des repères objectifs qui permettent d'interpréter les performances de son troupeau (voir graphique), ils sont corrigés pour tenir compte du pourcentage de primipares, de la quantité de concentré et du poids des animaux.
…ET LE POIDS DE LA VACHE
Car le gabarit de l'animal a un impact reconnu. « Plus il est grand et lourd, plus il a besoin d'énergie pour ses besoins d'entretien, explique Didier Boichard, responsable de la génétique bovine à l'Inra de Jouy-en-Josas (Yvelines). Le rapport d'efficacité entre les besoins d'entretien et de production est favorable aux petits animaux. Ceci est particulièrement vrai au pâturage, comme l'ont démontré les Néo-zélandais avec les vaches "kiwis" qui sont les plus efficaces au monde. » Dans la pratique, la mesure précise de l'ingestion au pâturage est inenvisageable, le pilotage de la valorisation de la matière sèche ingérée se limite donc à l'auge. Pour la calculer, il faut avoir connaissance du lait produit standard et de la quantité exacte de matière sèche ingérée, une mesure difficile à réaliser : « Il faut bien sûr disposer d'un système de pesée de la ration distribuée et des refus. Il faut aussi connaître avec précision le taux de matière sèche du fourrage, souligne Julien Homand, conseiller à la chambre d'agriculture de la Haute-Marne. Or, ces taux sont très variables et peuvent complètement biaiser le résultat. »
DANS LA LIMITE DU COÛT MARGINAL
Les gains d'efficacité visent à limiter les pertes d'énergie dans le cycle de digestion des aliments, pour compenser partiellement l'augmentation du coût des intrants. « L'accroissement de la production individuelle est un moyen d'améliorer l'efficacité alimentaire par la dilution des besoins d'entretien. Mais si ma ration est bien calée et répond aux objectifs de production que je me suis fixés, la recherche de gains supplémentaires n'est pas forcément cohérente économiquement dans un contexte de prix de concentré élevé », nuance Julien Homand. C'est d'autant plus vrai que la réponse du concentré est faible avec une ration de base de qualité. Autrement dit, il faut être capable d'évaluer le gain réel de production permis par un kilo de concentré supplémentaire à 300 €/t, avec un lait vendu à 290 €/1 000 l. « Il faut plutôt profiter de la capacité d'ingestion des vaches pour maximiser la consommation de fourrage et réduire la part de lait permise par les concentrés de production. »
RECHERCHER LA PERFORMANCE PAR LES FOURRAGES
L'aptitude de la vache à ingérer une grande quantité de fourrages se prépare dès la phase d'élevage des génisses et se poursuit au tarissement par le respect des transitions alimentaires. « L'objectif est de susciter le développement des papilles du rumen et de créer un environnement favorable à la flore bactérienne pour optimiser l'efficacité digestive, explique Jean-Luc Ledonge. Le prérequis c'est un apport de fibres suffisant pour ralentir le transit ruminal et garantir le brassage nécessaire à l'assimilation de la ration. Pour maximiser l'ingestion, il faut viser une ration entre 45 et 50 % de MS. Sinon je cours le risque d'avoir une proportion d'acides organiques trop importante, qui sont plus difficilement dégradés et favorisent l'acidose. À ce titre, l'apport de 2 kg de foin minimum est un gage de sécurité indispensable ».
Maximiser l'ingestion de fourrage passe aussi par la qualité de la récolte, de la conservation et de sa structure physique. « Avec une mélangeuse, je dois respecter une longueur de fibre autour de 8 cm, haché nette, pour stimuler la paroi du rumen. Il faut donc limiter le temps de brassage et contrôler l'affûtage des contre-couteaux. Sans mélangeuse, je déroule du foin à l'auge après chaque traite pour constituer un tapis ruminal.
L'objectif du rationnement est de maintenir cet équilibre du rumen pour assurer la longévité de la vache laitière. C'est pourquoi le lait par jour de vie apparaît plus pertinent que le pilotage de l'efficacité alimentaire à un instant T, tel qu'il est pratiqué chez les monogastriques. »
ÉVITER UNE ANALYSE SIMPLISTE
L'efficacité économique de l'exploitation peut-elle être, en effet, réduite au lait produit par matière sèche ingérée lorsque le coût de la matière sèche varie de 2,2 c/kg de MS au pâturage, à 4,4 c/kg pour l'ensilage maïs (source : Cogédis 2011) et jusqu'à 60 c/kg de soja ?
« La finalité de l'entreprise reste de dégager du revenu, confirme Olivier Perret. Celui-ci résulte de la marge réalisée par litre de lait, multiplié par le volume produit. Le prérequis est de faire son volume de référence pour diluer les charges de structures incompressibles. Quant à l'optimisation de la marge, elle passe par le prix du lait et par la maîtrise des coûts de production, dont le coût alimentaire représente environ 30 % hors mécanisation, main d'oeuvre et stockage nécessaires pour produire les fourrages. On comprend bien la nécessité de maîtriser son coût alimentaire qui dépend du prix de la tonne de matière sèche distribuée, mais aussi de l'efficacité de la transformation de l'ingérer en lait. »
Le message consiste donc à piloter conjointement coût et efficacité pour trouver le bon réglage au niveau de l'animal et compenser en partie la hausse de prix des intrants. « On peut même aller plus loin et aborder la notion d'efficacité des charges investies. Dans la pratique, les systèmes pâturants ne pilotent pas l'efficacité, ils privilégient l'optimisation de la marge par la maîtrise du coût des approvisionnements et l'amélioration du rendement de l'herbe. Mais, plus on va vers un système intensif, plus il devient impératif de piloter l'efficacité alimentaire, car ces systèmes sont plus dépendants des achats de matières premières. »
JÉRÔME PEZON
(1) Adhérent de l'association France Ruminant Conseil www.nutri-cap-bretagne.com
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